Chamonik le Virus,
ou presque.

Par Bruno R.

Pour la 3° année consécutive, Arthur Longo a ramené le crew Vans en France. Enfin quand je dis en France, je veux parler du seul lieu qui résonne vraiment outre-Atlantique : la vallée de Chamonix. Un endroit mondialement connu par les amateurs « d’outdoor » en tout genre venus satisfaire leur besoin d’aventure ou simplement capturer un « selfie » au sommet du téléphérique de l’Aiguille. C’est avec l’une des rares perturbations de l’hiver dernier que notre crew de professionnels vient se poser comme une fleur au pied du plus haut sommet d’Europe. Mis à part un gros coup de pluie et une pandémie mondiale, tout s’est plutôt bien déroulé. « Right time right place », la classe américaine ou presque.

Un bruit court dans la vallée. Les remontées mécaniques pourraient fermer pour prévenir la propagation d’un virus, le Covid 19. Nous sommes le 8 mars et une gentille psychose s’installe alors que de l’autre côté du tunnel en Italie, tout est déjà à l’arrêt depuis plusieurs jours. Il en faut plus pour décourager nos troupes pour qui le concept de station fermée demeure de l’ordre du fantasme.

Et puis on a d’autres préoccupations. Nous sommes en mission pour la dernière grosse production vidéo Vans. Deux photographes, deux filmers pour trois riders, voilà un crew qui n’est pas là pour se la couler douce. Chaque trick sera capturé sous tous les angles. La pression est sur les épaules de nos « athlètes ». Silence ça tourne. Il faut dire que ce n’est pas tous les jours que des Américains d’Amérique viennent fouler nos pentes. En réalité l’Europe n’a pas particulièrement la cote avec ses températures qui font le yoyo et un enneigement de plus en plus aléatoire.

Si la France reste une destination « exotique », la réputation de Chamonix, elle, n’est plus à faire. Cette année encore, Blake Paul, le local de Jackson Hole fait partie de l’équipe. Il semble apprécier le paysage et commence à se familiariser avec les lieux. Particulièrement « nonchalant » voire carrément en roue libre, le gars n’est vraiment pas chiant et pourra tout rider dans la mesure où le landing est poudreux. Sur la durée c’est une excellente stratégie. Le petit nouveau c’est Danimals, Dan Liedahl, ce rider originaire du Minnesota est plus connu pour ses prouesses sur les spots de street. Toujours enthousiaste Danimals est un mec cool qu’on se le dise. Pas le mec cool, trop cool, un peu snob, vraiment le mec cool toujours content. Et à Chamonix il en a pour son argent.

Du lever au coucher du soleil il s’en prend plein les yeux ça lui met la banane. Le capitaine, le premier de cordée, n’est autre que notre french golden boy Arthur Longo. Un rider passé maître dans la gestion du stress, la location de chalet sur RBn’B et le management de snowboarders dans les pentes de Chamonix. Être « encadré » par Arthur c’est quelque chose. Il revendique clairement un goût pour l’aventure et la découverte des pentes de la vallée. Certains retours station à la nuit tombée sont plus compliqués que d’autres. Surtout pour notre crew média qui se trimballe les sacs photos et vidéo de 30 kg. Suivez le guide, il ne sait pas où il va ! Et il le fait avec le sourire.

Côté shape, on commence à connaitre l’animal. Pas vraiment adepte de l’empilage de blocs, il recherchera plutôt le spot où le terrain a déjà fait une bonne partie du job.
On se retrouve donc à rider des bords de pistes, des windlips…

C’est un véritable bonheur de voir des riders de ce calibre évoluer et ce n’est donc pas un hasard si le crew média est en conséquence pour ne pas en rater une miette. L’emblématique Jake Price trimballe inlassablement sa caméra 16 mm aux quatre coins du monde. Calme, silencieux il n’en est pas moins efficace et fascinant. Voila deux saisons qu’il travaille sur un documentaire autour du légendaire Jamie Lynn. Mais ce dernier n’étant pas particulièrement pressé de commencer à filmer avant avril (2020), Jake passe beaucoup de temps avec Arthur. Hayden Rensch aka Drone pilote est là en renfort. Sa mission, immortaliser les nouvelles boots d’Arthur et tout le reste.

Côté photo c’est notre Master qui s’y colle: David Tchag. Comme à son habitude il met une bonne démo à notre équipe internationale avec son approche du métier toute personnelle. Il sera rejoint pour quelques jours par le photographe bonus Matt Georges. Tout le monde est chaud bouillant mais rien d’inquiétant en ce qui concerne leur température.

Si la pandémie mondiale continue son chemin, cela demeure très abstrait pour nos champions. Les priorités sont les suivantes : trouver de la bonne neige, trouver des spots, filmer des tricks. Un programme plutôt simple qui ne laisse pas de place à des considérations épidémiologiques.

Pour Blake Paul : « Notre crew dénote dans le paysage. Partout autour de nous, on assiste à des activités plutôt extrêmes : ski extreme, freeride engagé, speed riding, alpinisme, parapente (…) alors que nous nous baladons tranquille à la recherche de spots. Même si on doit certainement passer pour des novices, j’aime voir notre approche du snowboard s’inscrire dans le paysage de Chamonix. C’est tellement agréable de pouvoir rider la station toute la journée, s’arrêter déjeuner, prendre un café, changer de versant et filmer un spot au coucher du soleil.

Toute la démarche, la quête pour obtenir un shot sont vraiment très particulières et on passe beaucoup plus de temps à rider ici que sur une journée de filming aux States. L’esthétique des montagnes est vraiment unique ici et la seule limite c’est la distance que tu es prêt à parcourir à pied. Ça et le nombre de fenêtres météo que le spot va t’accorder. » Certes il vient de neiger mais la perturbation continue de circuler. Le temps est perturbé et nous bénéficions d’assez peu d’éclaircies.

On essaye tout de même de justifier les 4 billets d’avion et l’ensemble des frais engagés. Pour cela, on jongle entre découverte et zones recensées par notre équipe les années précédentes. Blake Paul n‘en revient pas : « Certains spots que nous avions ridés dans le passé avaient complètement changé. Sur le gros hip que nous avions filmé pour le projet “Triple”, deux énormes blocs de la taille d’un bus avaient bougé de bien 100 mètres en contrebas pour changer complètement la configuration du spot. Tout ça en l’espace d’un an à peine. On a fait 3 trips ici, mais tu n’es jamais complètement satisfait, tu auras besoin que beaucoup de facteurs s’alignent pour l’avoir vraiment bon. Bien que Chamonix nous ait déjà appris cette leçon dans le passé, il vaut mieux arriver là sans aucune attente. »
Le décor est majestueux mais pour ceux qui n’ont jamais ridé à Chamonix, on va la résumer ainsi : c’est une galère. Il y a des remontées mécaniques sur tous les versants mais rien n’est connecté. Tout est visible mais pas forcément accessible, c’est dangereux, les forfaits sont ultra chers, ça trace dans tous les sens … Bref n’y allez pas, c’est nul !

Insidieusement le concept de confinement que nous croyions réservé à nos voisins transalpins fait son petit chemin dans les esprits et devient de plus en plus envisageable. L’Europe et la France commencent à être montrées du doigt pour leur gestion de la crise sanitaire qui s’installe. Tout comme la Chine ou l’Italie avant eux, nous prenons la place du lointain voisin irresponsable. Au pays de l’oncle Sam, on met en garde les compatriotes expatriés en les invitant à boire un maximum de désinfectant. Pourtant à Chamonix, mise à part une pollution chronique généralisée due au trafic routier, l’air semble plutôt sain. C’est sur les derniers jours que tout ça commence à vraiment déraper avec de petits airs de fin de saison, voire de fin du monde. 

On prend le train du Montenvers qui part de Chamonix pour emmener les « touristes » au pied de la Mer de Glace. Tout est bouché par d’épais nuages et la caissière essaye de nous dissuader. On descend du train et comme prévu on ne voit pas grand-chose. Suffisamment pour se rendre compte qu’on ne voit pas la Mer de Glace. Les touristes et les classes de neige se relaient pour constater que oui, la Mer de Glace a disparu. Et que oui, ce n’est pas de la neige qui tombe du ciel mais bien de la pluie. À l’instar du virus, le réchauffement climatique est clairement visible. Là, on sent que ça part vraiment en sucette, les prévisions sont alarmantes. Aucune perturbation en vue. Un isotherme à 3000 et une pandémie qui s’intensifie et nous rattrape. Le pic de contamination explose et le monde va vivre un épisode dont nous ne sommes toujours pas sortis à l’heure où vous lirez ce magazine.

Notre petite équipe toute à son affaire, concentrée sur sa saison, sur sa mission, est rattrapée par la situation sanitaire mondiale. En quelques heures les priorités et préoccupations changent de dimension. Nos snowboarders épris de liberté et de grands espaces doivent finalement composer avec une autre réalité.

Blake Paul résume : « On sent que le trip touche à sa fin, la situation est préoccupante et nous discutons du programme pour les quelques jours qu’il nous restent à passer en Europe. Il est 3h00 du matin quand Hayden notre filmeur déboule dans la chambre : “T’as vu les infos ? ”. Les frontières vont fermer ce vendredi (nous sommes jeudi), il faudrait peut-être qu’on se tire d’ici. En 5 minutes toute la maison est réveillée et on commence à faire les bagages dans la panique. Impossible de joindre la compagnie aérienne par téléphone pour changer nos vols. En route pour l’aéroport de Genève.

C’est une véritable course contre la montre. L’ambiance est légère cependant et on ne peut s’empêcher de rire à l’idée de la situation rocambolesque dans laquelle nous nous trouvons. Soudain en un claquement de doigts, le crew se sépare et l’hiver se termine ». Le lendemain, Arthur se réveille solo dans le chalet. Tous volatilisés dans la nuit. Il restera dans la vallée à regarder fondre la neige, définitivement contaminé par le virus de Chamonix.